Richard Wilson, père du paysage moderne

Par Céline Cachaud

Avec cet article, je souhaite ouvrir une nouvelle série sur le blog, dédié au paysage et à l’amour des Anglais pour la nature en général. Si le paysage dit « classique » ou « historique » apparait à la fin du XVIème siècle sous le pinceau des Carrache italiens, c’est à l’Angleterre que l’on doit l’émergence d’un nouveau type de paysage, typiquement anglais, et qui inspirera l’Europe jusqu’à l’impressionnisme et même au-delà. A son origine, il faut nommer un artiste aujourd’hui quasiment oublié dont le musée national du Pays de Galles vient tout récemment de lui dédier une rétrospective. Partons donc sur les chemins avec Richard Wilson sans qui les noms de Turner, Constable, Delacroix ou encore Monet, n’auraient pas aujourd’hui le même sens….

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Portrait de Richard Wilson, Anton Raphael Mengs, 1752, National Museum Wales (Cardiff)

Des débuts dans le portrait

Gallois, Richard Wilson nait probablement entre 1712 et 1714, un 1er août selon certaines sources. Il est le fils d’un pasteur réputé qui encouragea son fils à percer dans la peinture, un fait très rare à l’époque. Il reçut aussi une bonne éducation classique. Sa formation artistique débute à Londres dès 1729 jusqu’en 1735 où il réalise ses premières œuvres dites « matures ». Il est alors l’élève de Thomas Wright, peintre portraitiste.

(c) National Portrait Gallery, London; Supplied by The Public Catalogue Foundation
Francis Ayscough avec le prince de Galles, futur Georges III et son frère Edward, duc d’York et d’Albany, v. 1749, huile sur toile, 207×257,8cm, National Portrait Gallery (Londres)

Il débute donc sa carrière en tant que portraitiste où on retrouve une forte influence de Thomas Hudson, grand portraitiste de la 1ère moitié du XVIIIème siècle et son contemporain. Son art se place dans la continuité du portrait du XVIIème siècle, notamment inspiré par le portrait français dans les poses empruntées. Bien que peintre talentueux, on sent cependant que le portrait ne semble pas être le domaine qui fera de Wilson un artiste reconnu. On note notamment sur ce portrait du prince de Galles et son frère accompagnés de leur précepteur Francis Ayscough une forte impression de « copié collé ». On sent bien que les portraits furent plaqués sur ce fond. Les portraits en outre trahissent une étude de l’art de Godfrey Kneller (1646-1723) dont son école perpétuera son style jusqu’à l’arrivée des fondateurs de l’Académie royale britannique dans la 2ème moitié du XVIIIème siècle. Les visages notamment sont assez ressemblant, bien qu’ils n’aient pas l’aboutissement que leur donnait Kneller.

(c) Laing Art Gallery; Supplied by The Public Catalogue Foundation
« The Alban Hills », Italie, v.1751-1757, huile sur toile, 73,6×101,4, Laing Art Gallery 

Les premiers paysages
Avant son départ en Italie, Richard Wilson peignait déjà des paysages, à la manière des « vedute »[1], inspiré très certainement par les chefs d’œuvre d’un certain Canaletto, en vogue en Angleterre pendant tout le XVIIIème siècle. Son premier paysage daté est aujourd’hui conservé à la Tate. Il s’agit de « The Inner Temple after the Fire of 4 January 1737 ». Une autre œuvre, « Westminster Bridge under construction », datée de 1744 et conservée à la Tate est aussi un des exemples de ses premiers paysages. Ces premiers paysages montrent une influence de George Lambert (1700-1765), premier peintre anglais à se dédier entièrement au paysage, et de Samuel Scott (1702-1772), peintre de marines. Ces artistes auront aussi une grande influence sur un certain Joseph M.W. Turner. De 1750 à 1757, il réalise, comme la plupart des artistes européens de l’époque, un séjour en Italie. Cette période est fondamentale puisque dorénavant, il ne travaillera plus que le paysage. Il côtoie des artistes comme Francesco Zuccarelli. Peintre baroque, Zucarelli est connu pour ses peintures de paysages idéalisés, qualifiées « d’arcadiennes ». Son œuvre montre cependant une influence du paysage classique du XVIIème siècle, à la manière de Claude Gellée dit « Le Lorrain »[2]. En Italie, il rencontre aussi Claude-Joseph Vernet (1714-1789), un des grands représentants du paysage classique en France et à l’origine d’une dynastie de peintres jusqu’à la première moitié du XIXème siècle. Tous deux admirent Nicolas Poussin et le Lorrain et copient les nombreuses œuvres conservées en Italie.

(c) Walker Art Gallery; Supplied by The Public Catalogue Foundation
Paysage avec la pétition de Phaeton à Apollon, v.1763-1767, huile sur toile, 229x224cm, Walker Art Gallery  (Liverpool)

Un paysage « moderne » ?
De retour en Angleterre, ses paysages à l’italienne font son succès et beaucoup d’artistes lui en commandent, tout en transposant ces natures italiennes aux beautés du paysage britannique. Et c’est ainsi que Richard Wilson se démarque. Dès son retour, Wilson est reconnu par la grande société britannique jusqu’à recevoir des commandes royales sans jamais obtenir un mécénat fixe cependant. Pour adapter ce paysage classique à la nature britannique, les couleurs se refroidissent, les motifs d’arbres et surtout de ruines évoluent. Wilson observe les abbayes détruites par Henry VIII et les châteaux anglo-normands. Par exemple, dans le paysage ci-dessus, on voit au premier plan la pétition de Phaeton à Apollon. La scène est noyée dans un paysage qui se développe à l’horizon sur trois plans. Tout d’abord, on note une sorte de temple à l’antique, puis un château anglais médiéval rappelant vaguement Windsor et Hampton Court, et enfin un paysage montagneux typique de ce qu’on peut voir au Pays de Galles. Les tons froids de verts et bleus sont prépondérants et se marient à un orange rosé de l’aube ou du crépuscule, mettant en valeur la scène du premier plan.

(c) Walker Art Gallery; Supplied by The Public Catalogue Foundation
Snowdon from Llyn Nantlle, v. 1765, huile sur toile, 101x127cm, Walker Art Gallery (Liverpool)

Une école de Richard Wilson ?
Wilson aura, tout au long de sa carrière, de nombreux élèves dont Thomas Jones (1742-1803), William Hodges (1744-1797) et Joseph Farrington (1747-1821). Ces artistes feront partie de cette nouvelle génération qui va fonder l’apogée de l’école britannique de peinture, et notamment dans le paysage. En 1768, Wilson fait partie des membres fondateurs de la Royal Academy, copie de l’académie royale de peinture et de sculpture en France, mais aussi de la Société des Artistes, fondée en 1759.
Dès les années 1770, l’artiste est dit « en déclin », une manière de dire que son art ne bouge plus, qu’il ne réinvente plus, que les expériences ont aboutis pour lui. En même temps, une nouvelle génération de jeunes artistes émerge. Elle formera l’apogée de la peinture britannique : sir Joshua Reynolds entre autre dans le portrait ; Thomas Gainsborough à la limite entre le portrait et le paysage ; mais surtout John Constable et Joseph M.W. Turner qui révolutionneront le paysage. Ce sont les Romantiques qui au tournant du XIXème siècle influenceront l’art romantique en Europe.

(c) National Museum of Wales / Amgueddfa Cymru; Supplied by The Public Catalogue Foundation
Ceyx et Alcyone, 1768, huile sur toile, 101,5x127cm, National Museum of Wales (Cardiff)

A son époque, Richard Wilson devient alors un des paysagistes les plus célèbres d’Angleterre. Sa renommée s’éclipse cependant avec l’arrivée de talents flamboyants comme William Turner ou encore de John Constable. Il est cependant un des artistes à placer aux prémices du paysage dit « moderne ». Il meurt dans sa région natale, le pays de Galles, en 1782. De l’œuvre de Wilson, il ne faut cependant pas que retenir ses paysages. Les huiles que nous conservons aujourd’hui, près de 300 en Angleterre à elle-seule, montre un talent versatile, travaillant à la fois la nature et la figure. Au même titre que William Hogarth, il est l’un des pères fondateurs de l’école de peinture britannique.

Bibliographie :
Wilson Richard”, The Oxford Dictionary of Art and Artists, Oxford University Press
Wilson, Richard”, Encyclopaedia of British Art, 1985
Oeuvres de Richard Wilson en Grande-Bretagne, Your Paintings, BBC : http://www.bbc.co.uk/arts/yourpaintings/artists/richard-wilson-5055
Richard Wilson, National Gallery : http://www.nationalgallery.org.uk/artists/richard-wilson
A propos de l’exposition sur Richard Wilson au National Museum of Wales, The Guardian : http://www.theguardian.com/artanddesign/2014/jul/03/richard-wilson-wales-museum-landscape-nature-painting-exhibition
Blog sur Richard Wilson, National Museum of Wales : http://www.museumwales.ac.uk/articles/2007-04-16/An-18th-century-painter-at-work—The-techniques-of-Richard-Wilson/

Pour aller plus loin :
CONSTABLE W.G., Richard Wilson, 1953
SOLKIN D., Richard Wilson, cat. expo., Tate, 1982

Notes :
[1] Une « veduta » est une peinture reprenant une vue topographique  d’un lieu.
[2] Cf. Article de Laure Nermel, publié sur Un Art Anglais ? le 5 décembre 2014 : http://unartanglais.com/2014/12/05/le-lorrain-et-le-jardin-anglais/