L’orientalisme et l’exotisme dans l’art anglais

L’orientalisme, courant pictural créé par des artistes au cours du XIXème siècle ayant voyagé en Orient – de l’empire ottoman au Maghreb – et rapporté des modèles. Ce courant stylistique trouve des affinités dans d’autres styles comme le Réalisme anglais ou le préraphaélisme. Teinté de romantisme dans sa palette de couleurs et sa technique, l’Orientalisme intervient à un moment où l’empire britannique règne sur le monde : Irlande, Canada, Egypte et Afrique orientale et méridionale, Inde, Océanie. Le Royaume-Uni est alors la plus grande puissance mondiale et économique, contrôlant le commerce, à l’origine des grandes inventions du XIXème siècle et notamment de l’industrialisation. Cet afflux de marchandises exotiques et une plus grande facilité de voyager notamment grâce au train et au bateau à vapeur, offre à la production artistique de nouveaux modèles, et de nouvelles matières. Ainsi, ce courant orientaliste, et à plus large échelle exotique, se retrouve non seulement dans la peinture mais aussi dans la mode et les arts décoratifs, surtout la porcelaine. C’est donc à travers ces trois supports – peinture, mode et porcelaine – que je vous propose de découvrir  la veine orientaliste et exotique de l’art anglai à l ‘époque victorienne.

Intérieur de Harem, John Frederick Lewis, 1858, aquarelle au crayon, Victoria and Albert Museum

Tout d’abord à travers des aquarelles, peinture typiquement britannique et plus commode lors des voyages,  les œuvres orientalistes évoluent au cours du XIXème siècle vers la peinture à l’huile à proprement parlé, afin de se rapprocher du courant réaliste, roi parmi les styles de l’Angleterre victorienne. Parmi les figures proéminentes du style orientaliste, on retrouve Lord Frederick Leighton et surtout John Frederick Lewis, connu pour son célébrissime Intérieur de Harem. Les sujets représentés sont divers : monuments importants, scènes de genre mais aussi des scènes à portée politique comme l’esclavagisme (Marché aux esclaves à Constantinople, Sir William Allan, 1838, Scotland National Gallery). S’y mêle toutes les caractéristiques appréciées par le public britannique de l’époque : une technique réaliste, des modèles européens dans un cadre oriental aux couleurs chaudes, une vision romantique de la scène. A titre d’exemple, dans l’Intérieur de Harem de Lewis, on retrouve le modèle de l’Odalisque dans une ambiance feutrée, habillée de luxueuses étoffes. Le visage et la coiffure sont cependant typiquement victoriens, les chairs relativement claires. Lewis peindra de nombreuses scènes de genre, mais aussi des aquarelles de Constantinople.

Moïse sauvé des eaux (Pharao’s Daughter: The finding of Moses), Edwin Long, 1886, huile sur toile, Bristol Museums and Art Gallery

A un temps de redécouverte de la civilisation égyptienne, certains peintres comme Edwin Long ou encore William Holman Hunt, décident de réaliser des reconstitutions historiques de la vie en Egypte à l’époque pharaonique ou encore en Orient antique comme à Babylone. Certaines peintures sont réalisées dans un contexte religieux, comme dans la Découverte du Sauveur dans le Temple de Hunt (1854-5, Birmingham City Museum and Art Gallery). Dans Moïse sauvé des eaux d’Edwin Long, la reconstitution, teintée de romantisme, montre une scène de cour avec des femmes dénudées dont la fille de Pharaon, au centre, couverte d’une simple étoffe translucide à la taille et dans l’attitude du chiasme polyclétéen antique, tend la main vers le berceau en signe d’acceptation de l’enfant alors que la véritable mère de Moïse guette la scène, cachée dans les roseaux.  Le chef d’œuvre de Long est Le « marché au mariage » babylonien de 1875.

Qu’il s’agisse d’aquarelles de découvertes antiques, monuments ou scènes de rues, de scènes de genre et vie des grands cours orientales (Constantinople principalement) ou encore de reconstitutions fantasmées de la vie d’autrefois, l’orientalisme est un style à part entière dans la production artistique de l’ère victorienne.

Robe de chambre Kimono, fin XIXème – début XXème, production japonaise pour le marché européen, Los Angeles County Museum of Art.

Progressivement, la société anglaise est « orientalisée » grâce aux imports des Indes. Dès le début du XIXème siècle, arrivent en Europe des accessoires et des tissus de soie et de cachemire. Influencée par la mode française et par ces imports exotiques, les femmes anglaises se parent de châles provenant du Kashmir sur leurs robes néo-classiques, mises à la mode entre autre par Juliette Récamier et l’impératrice Joséphine. Le turban devient une coiffe à la mode, paré de plumes et de bijoux. Avec ses nouveaux tissus sont importés les motifs indiens et asiatiques : plantes exotiques, monuments bouddhiques. Apparaissent alors les « bizarre silks » dès le début du XVIIIème siècle en France, puis des motifs de « chinoiseries ». A la fin du XIXème siècle, les femmes se parent de kimono, puis de vêtements persans déjà amorcé avec l’apparition du turban. Le marché européen est tellement important que les ateliers asiatiques et indiens réalisent une production spéciale pour cette clientèle. Et encore jusqu’à aujourd’hui, l’exotisme reste un marché important et influence fortement la mode.

Assiette, début du XIXème siècle, production anglaise inspirée des Bleus et Blancs de Chine, Victoria and Albert Museum

Cette influence se traduit aussi dans les objets d’art et notamment dans la porcelaine anglaise. Il s’agit en réalité d’un véritable changement dans la société anglaise. Avec la mise en place du commerce avec l’Extrême-Orient apparait le thé sur les tables anglaises au XVIIème siècle. Boisson patriotique par excellence, le thé devient l’emblème même de la société anglaise.  Avec cette nouvelle consommation apparait en même temps une production d’objets  réservée à satisfaire ce nouvel art de vivre : théières, tasse, boîte à thé, etc. Cette nouvelle production s’inspire de la porcelaine chinoise avec la réalisation notamment de bleus et blancs. Progressivement, il s’agit d’une véritable production de porcelaine d’inspiration chinoise dès le XVIIIème siècle qui orne les maisons anglaises : groupes de personnages décoratifs, vases de fleurs, etc. Les théières, moulées, peintes, glaçurées, prennent différentes formes comme des animaux ou des formes géométriques.  La forme la plus typique est la théière ovoïde avec un bec, un couvercle et une anse rapportée. Autour de la théière est réalisé tout un service pour le teatime.  

Le XIXème siècle est un siècle de véritables changements dans la société anglaise. Ces changements se reflètent dans la production artistique : refus d’une société industrialisée ; importance d’un monde où l’Europe bien que prédominante, n’est pas seule au monde ; volonté de s’évader du quotidien vers des contrées fantasmées. On retrouve ces mêmes idées dans les autres courants artistiques de l’époque : le préraphaélisme et le Gothic Revival.

Bibliographie :

ACKERMAN Gerald M., Les Orientalistes de l’école britannique, ACR Editions, Paris, 1991

GAUNT William, La peinture anglaise 1260-1960, Thames and Hudson, Paris 1993

TRENCH Lucy, Victoria and Albert Museum, Londres, 2010

Fashioning Fashion, Los Angeles County Museum of Art, catalogue d’exposition, 2010

Crédits photos : V&A, Bristol Museums and Art Gallery, LACMA